Célébrations
En cette veille de fête des morts, le Compagnon Malrubius s’accorde enfin un jour de répit. Il presse le pas pour retrouver, pour sa plus grande joie, la jeune sorcière Zénaïs, venue fêter, elle aussi, son nouveau statut de Serviteur du Trône. Il sait qu’il n’a que quelques heures de répit avant d’accompagner la Châtelaine Thaïs de l’Automne Lacté pour inspecter la mise en place qu’il a effectuée dans le grand mausolée de cette illustre famille d’exultes et vérifie, pour la millième fois, qu’il n’en a pas oublié la clef d’accès. Il a passé toute la semaine des célébrations d’accession au grade de compagnon à se rendre au parc du Souverain Doré pour préparer le tombeau, en lieu et place de profiter des festivités, et compte bien se rattraper aujourd’hui. Surtout, il est assez flatté que la jeune Zénaïs, qu’il avait rencontrée alors qu’il avait 12 ans aux Grandes Loges, lors de l’enquête de sa supérieure sur l’assassinat du Maître Tauroctone Capito, ait choisi de revenir à Kalani. Il s’est souvent demandé pourquoi ces deux sorcières avaient refait l’enquête, mais n’avait jamais obtenu de réponse. Peut-être que, les années ayant passé, Zénaïs sera plus loquace, à moins que… d’autres sujets plus personnels ne viennent s’immiscer dans leurs conversations ?
Sur le chemin du “Potron-Minet”, la taverne choisie pour sa proximité avec le parc, Malrubius croise de nombreuses patrouilles de miliciens. Il sait que, dès que le soleil sera couché, commencera la fête des morts, et que le folklore impose aux citoyens de regagner leur demeure, exception faite de ceux accompagnés d’un fuligineux : ces derniers, dans leur tenue plus noire que la nuit, sont reconnus par les molosses d’Hypogéon, venus chercher les âmes des morts, comme les serviteurs d’Ani. La milice est là pour s’assurer que la tradition sera respectée et aider les derniers fêtards à évacuer les rues.
Arrivé dans le petit estaminet, il jette un œil sur la salle, déjà chauffée par l'ambiance des nouveaux guildaires. Outre ses camarades des Grandes Loges, il remarque Lorne, une vieille connaissance dans son uniforme de Claviger. Ce dernier, plus âgé que lui et compagnon depuis plusieurs années, a sûrement été réquisitionné pour calmer les ardeurs de ceux qui auraient trop arrosé la fin de leur carrière d’apprenti. Surtout, il retrouve Zénaïs, déjà entourée par Charonus et Vespa, ses amis d’enfance devenus, eux aussi, embaumeurs.
Les conversations joyeuses, les chopes et les rires s’enchaînent, tandis que le temps file à toute vitesse. Zénaïs, toujours aussi discrète, ne lui confie aucune véritable raison pour sa venue et continue d’entretenir le mystère sur ses activités. Alors que son heure de rendez-vous arrive, Malrubius s’excuse auprès d’elle et, ne sachant pas bien combien de temps la Châtelaine Thaïs le retiendra, lui indique de ne pas l’attendre. Mais Zénaïs semble décidée à rester jusqu’à la fermeture de l’établissement. Portant sa robe de fuligine, elle peut se permettre de rentrer à la nuit tombée. Elle lui dit alors, avec un sourire mutin, qu’elle pourra toujours le raccompagner et chasser les éventuels molosses d’Hypogéon qui voudraient s’en prendre à lui. Malrubius, ne sachant décidément pas sur quel pied danser avec cette sorcière, finit par lui concéder qu’il reviendra dès qu’il le pourra. Saluant d’un petit signe de la tête le Claviger Lorne, il sort de la taverne, non sans constater que le soleil rouge est déjà bien bas.
Il ne lui fallut heureusement pas plus de quelques angélus pour rejoindre l’entrée du parc du Souverain Doré. Les gardes, reconnaissant sa tenue pourpre de Thanatopracteur, ne firent pas d’histoire pour le laisser passer. Une grande silhouette encapuchonnée, encadrée par deux solides gaillards, semblait déjà s’impatienter devant le mausolée de l’Automne Lacté. Malrubius, ne voyant que le menton et les lèvres délicates de la femme qui se tenait devant la porte,

demanda, hésitant, à qui il avait affaire. D’une voix de colombe, celle-ci lui confirma être envoyée par la Châtelaine Thaïs de l’Automne Lacté, tout en retirant un gant de dentelle pour lui montrer furtivement sa bague sigillaire. Malrubius, surpris de ne pas avoir devant lui la Châtelaine en personne, eut à peine le temps de reconnaître un gland et quelques étoiles, ainsi qu’une barre. Cependant, conforté par la voix assurée de la jeune femme et sachant que Maître Kryspin avait examiné le sceau de la missive reçue à la loge, il ne fit pas attendre plus longtemps la jeune femme.
Sortant la clef de sa poche, il ouvrit la porte du mausolée et saisit la lampe qu’il avait laissée pour cette occasion. Aidant la jeune femme à enjamber le seuil, il ouvrit ensuite la voie et commença à descendre la volée de marches qui s’enfonçait dans la première hypogée. Tout occupé à guider son invitée, il ne remarqua pas les deux sbires qui leur avaient emboîté le pas. Finalement, arrivé dans la petite salle contenant le sarcophage de Cériana et grandement satisfait du travail visiblement fourni, Malrubius esquissa un mouvement pour obtenir l’avis qu’il espérait positif de son inspectrice. C’est alors qu’à sa plus grande surprise, un foulard imbibé d’une très forte odeur se plaqua contre son nez, et il sentit ses jambes se dérober alors qu’il tentait désespérément de se raccrocher aux bras de la traîtresse. Tout se fit noir autour de lui, et il perdit connaissance.